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La retouche photo

Nécessité ou horrible bidouillage ?

Il m'arrive souvent d'échanger avec des photographes débutants au sujet de la retouche des photos. Une réponse qui revient souvent, lorsque je leur demande comment ils travaillent leurs photos, est la suivante : je fais comme en argentique, je ne touche à rien. Si la photo est bonne, tant mieux, si elle est mauvaise, je la jette. C'est à la prise de vue qu'il faut être bon, le reste consiste à tricher.

Soit, cela dénote une forme d'honnêteté intellectuelle qui est louable sauf que, bien qu'ils y fassent référence, cela dénote aussi un manque de connaissance certain de la pratique argentique, doublé d'une certaine forme de naïveté. En argentique, on cadre, on déclenche puis on ne touche plus à rien et on sort la photo ! Mmmmouais... est-ce si certain ? Ce fantasme de la "photo pure" argentique est bien ancré et demande, à mon avis, à être démystifié.

Le choix du film

Dans la pratique argentique, c'est le premier souci du photographe. S'il est un peu expérimenté, il va faire attention à choisir un film qui corresponde au sujet à photographier et aux conditions dans lesquelles il devra photographier : lumière du jour, intérieur peu éclairé, paysage pour lequel on recherche un rendu contrasté, portrait pour lequel on recherche un rendu doux... Tout cela doit être réfléchi. Chaque film procure un rendu qui lui est spécifique en termes de contraste global, de rendu colorimétrique, de finesse de grain, de balance des couleurs...

En numérique, on a un seul film pour faire toutes sortes de photos, comment faire pour "l'adapter" à toutes ces situations ? Doit-on se contenter d'un rendu "moyen" qui sera trop contrasté (saturé, accentué...) pour certaines situations mais pas assez pour d'autres... Comme si, du temps de l'argentique, il avait existé un seul et même film pour tout le monde.

Evidemment qu'on ne peut pas se satisfaire de cela et seul le travail de développement de la photo va permettre de retrouver le rendu recherché.

Vous serait-il venu à l'idée de soupçonner un photographe d'être un horrible "bidouilleur" simplement parce qu'il chargeait un rouleau de Velvia 50 ou de T-Max ? Alors pourquoi aujourd'hui soupçonnerait-on le photographe numérique qui, par le travail de développement de son fichier raw, va tenter de retrouver ce rendu (ou un autre) que le capteur de son appareil photo ne peut pas lui proposer par défaut.

Le développement

Les logiciels spécialisés dans le développement des fichiers raw permettent d'aller très loin dans la retouche mais, au final, ils proposent simplement les outils qu'ont toujours utilisés les photographes argentiques lors du développement de leurs photos.

Non, les photographes argentiques n'ont pas plus la science de l'exposition que les photographes numériques. Et on peut rattraper une petite erreur d'exposition au développement. Pourquoi se l'interdire en numérique ?

Non, les photographes numériques n'ont pas inventé la retouche locale : éclairer une partie de la photo, en assombrir une autre, cela existait bien avant que quelqu'un n'aie ne serait-ce que l'idée d'inventer Photoshop !

Non, les photographes numériques n'ont pas inventé le réglage du contraste et de la luminosité. Les différentes chimies utilisées, le temps dans le révélateur, le temps sous l'agrandisseur, le talent de la personne qui développe et/ou les performances des machines utilisées permettent cela en argentique.

Voici par exemple le travail que Cartier-Bresson demande à son tireur et l'image avant/après.

Même certains effets qui semblent liés au numérique tellement ils donnent un résultat éloigné de la réalité sont des procédés argentiques : le virage partiel ou le traitement croisé, par exemple, sont des procédés typiquement argentiques.

L'immense avantage du numérique, c'est qu'on peut appliquer ces traitements de manière graduée et sans aucun risque de détruire l'original puisque tous ces traitements sont réversibles. En argentique, on ne pouvait pas "essayer" un traitement croisé. Il fallait donc une grande maîtrise pour appliquer avec justesse chacun de traitements appliqués à l'image. Mais sur les traitements eux-mêmes, le numérique n'a rien inventé, si ce n'est cette grande souplesse d'utilisation.

Le tirage

Une photo argentique n'existait que lorsqu'elle était imprimée. On juge donc une photo sur un tirage papier. Mais quel tirage et quel papier ? Avez-vous déjà observé la différence qui existe entre un tirage d'un labo industriel bas-de-gamme sur papier ordinaire et la même photo tirée sur un beau papier baryté par un tireur talentueux ? Si vous n'avez jamais eu l'occasion de comparer, je peux vous l'assurer, ce n'est pas la même photo !

Là encore, le photographe numérique doit utiliser les outils à sa disposition. Aujourd'hui, les photos circulent beaucoup plus sur écran que sur papier, mais encore faut-il savoir les préparer pour que l'affichage sur écran se présente bien. Savez-vous par exemple que votre ordinateur gère très mal l'affichage des pixels surnuméraires issus de votre appareil photo ? Les 24 millions de pixels qui sortent de votre boitier, la carte graphique de votre ordinateur ne sait pas quoi en faire. Si vous ne redimensionnez pas votre photo et que vous n'y appliquez pas l'accentuation nécessaire à un bon affichage, ce que vous verrez à l'écran sera mauvais. Tout comme l'aurait été une photo argentique tirée sur un papier de mauvaise qualité ou mal adapté au contraste et à la densité de la photo.

Conclusion

On pourrait résumer tout ceci en disant que, finalement, la différence entre argentique et numérique réside dans le fait qu'en argentique, on vous a toujours mâché le travail ! Sauf ceux d'entre vous qui ont fait du labo noir et blanc, mais eux ne se posent pas ces questions : ils savent que les bonnes photos ne sont jamais sorties toutes seules de l'appareil photo !

Le photographe de quartier vous conseillait sur le choix du film, puis il développait vos négatifs en effectuant les ajustements nécessaires et enfin, veillait à produire des tirages corrects sur du papier de qualité. Vous n'aviez plus qu'à régler votre boitier, viser et déclencher.

Aujourd'hui, en numérique, vous voici responsables de l'intégralité de la chaîne de production de la photo, personne pour faire le boulot à votre place. Mais les problèmes de la photographie, eux, sont toujours les mêmes : contraste, luminosité, rendu colorimétrique... : pourquoi et comment se seraient-ils résolus tous seuls dans votre appareil photo ?

L'erreur consiste donc, à mon sens, à considérer ces tâches (que vous découvrez peut-être) comme étant facultatives alors qu'elles ont toujours fait partie intégrante de la photographie. Il ne s'agit pas de "bidouille informatique", mais bien du travail normal qui doit être fait et qui a toujours été fait - mais probablement pas par vous - sur les photos.

L'apprentissage d'un logiciel de développement est donc indispensable pour celui qui veut pratiquer la photo numérique sérieusement. Car si le photographe, à l'instar du photographe argentique, ne veille pas au bon déroulement des diverses opérations qui font une bonne photo, il devient un "presse-bouton" qui confie à son appareil photo le soin de réaliser des choix à sa place.

Bien entendu, je parle ici du développement de la photo et non de retouche lourde ou de création numérique qui sont un autre sujet...

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Didier ROPERS